TEXTES/Ligeia

Magie et Vanité de la peinture, Caroline Lejeune

 

J’ai commencé la peinture assez tard, à 20 ans, non pas à cause de la peinture, je savais à peine ce que c’était, je n’avais en tout cas aucune notion de ce dont pouvait être un artiste, une vie consacrée à l’art. Le tableau était pour moi quelque chose d’ennuyeux, un objet de musée, un outil pédagogique, ou une valeur d’échange, un objet de possession qui pouvait témoigner d’une richesse et d’un pouvoir.

J’ai commencé la peinture, sans savoir ce que c’était, ce que j’allais y trouver. C’était l’été à Paris, je suis tombée amoureuse, et j’ai ramassé des bouts de bois dans la rue, je les ai collés sur du carton et j’ai mis de la couleur, c’était du cirage. Seulement, parce que je ne pouvais contenir mon désir autrement. Puis, j’ai pris des cours du soir et au bout de 3 semaines, j’étais là tous les soirs, sans m’en rendre compte j’avais fait la rencontre de ma vie, j’avais rencontré la peinture. Alors, j’ai peint, sans me poser la question de la peinture, naïvement, ou plutôt naturellement. J’avais toujours un modèle, un corps nu qui posait. Arrivé aux Beaux Arts, le modèle a disparu, et la question du sujet de la peinture est apparue. À ce moment-là, je croyais que la peinture était symboliste et formaliste. Je me suis alors posé la question du médium. Je trouvais que la peinture n’allait pas assez vite, j’ai fait de la photo, je trouvai que ma peinture ne bougeait pas assez alors j’ai voulu faire du cinéma, je trouvai que la peinture n’était pas assez enveloppante alors j’ai fait des installations. Et puis, la peinture s’est en quelque sorte affranchie du discours qui me rassurait et qui avait pris le contrôle sur elle. L’école m’avait rendu scolaire et fait croire un moment au discours didactique. À nouveau je suis entrée dans la peinture, et les mots sont redevenus plastiques.

Le grand sujet de la peinture, c’est la vie, je pense que la peinture peut devenir pour chaque peintre une métaphore de ce qu’il croit être la vie, de ce qu’il veut que la vie soit. Le sujet de ma peinture c’est le désir, celui de vivre, d’avancer, d’aimer. Ce désir  m’habite alors que je n’ai aucune idée du sens de l’existence. La peinture c’est l’expression de cette énergie vitale. L’enjeu de la peinture, c’est de créer du jeu, de la vie, de rester libre, chercheur, explorateur, jeune. Lorsque je peins, je joue, je parie à chaque coup de pinceaux, je risque l’image. Je m’amuse, comme une enfant. La peinture est une vanité et un objet magique, qui par sa présence donne de l‘énergie, du rêve. En tirant le fil de ma peinture, je suis au monde et j’essaie de créer du mouvement. La peinture pour être présent et ne pas oublier que l’on a qu’une seule vie. 

Dans l’image manuelle il y a un côté fétiche, que l’image mécanique n’a pas. La peinture c’est le corps qui laisse une trace de la pensée dans la matière. C’est un acte magique et il faut être un peu fou pour y croire. À partir de presque rien de matière, tout est possible.  Aujourd’hui la peinture est à mesure d’homme, c’est la production d’un homme et pas d’une machine, elle est donc rare, limitée, mesurable. En tant qu’individu, on peut se mesurer à cela et s’identifier. On peut admirer et donc désirer. Aujourd’hui, alors que les consommateurs sont si nombreux c’est héroïque ou idiot d’être un peintre qui produit si peu et qui voudrait faire passer un peu de son âme dans un objet, un tableau.

Posez la question de la légitimité de la peinture par rapport aux autres médias aujourd’hui empêche d’entrer dans le vif du sujet et, finalement permet d’éviter de parler de peinture. Peindre n’a jamais été un problème, mais toujours une évidence. Depuis que l’homme marche, il dessine. L’homme est encore debout et l’évidence de ce désir est toujours là. En cela la peinture est incommensurable aux autres médias. La peinture a toujours ouvert des espaces singuliers correspondants à des visions théologiques ou philosophiques du monde. elle est influencée par les découvertes scientifiques et technologiques. Par exemple, aujourd’hui, beaucoup de peintres se servent de l’image numérique en amont de leur travail.

En peignant, je suis devenue fille de l’histoire de la peinture, et dans cette histoire il y a des peintres que j’admire, d’autres que je déteste. Je suis passionnée de peinture, mais franchement je ne sais pas du tout comment la fréquentation de tous ces tableaux m’influence. Plus largement je suis fille de mon époque, inspirée par le monde qui bouge autour de moi, par le cinéma, la littérature, la politique et je ne sais pas plus comment tout cela entre dans ma peinture. Mais je suis sûre que cela y entre. Peindre, aujourd’hui, c’est accomplir cet acte magique : faire entrer dans la matière de la peinture sa vision du monde. Je crois aussi que le spectateur reçoit cette pensée, l’articule à la sienne et crée du mouvement et de la vie.

Aujourd’hui je me sens proche d’artistes de ma génération qui ne se réclament d’aucune école. De gens qui partent sur leur proche chemin sans avoir peur de se retrouver tout seul et qui finalement découvrent un univers très personnel. Je me sens très loin des artistes arrogants qui célèbrent la vacuité du monde, où l’individu est anéanti par la société de consommation.

Mon histoire avec la paysage

Depuis 1997, je travaille sur le thème de la nature, pour justement opérer une trouée dans la ville, et changer le regard. L’espace du tableau est un espace de liberté, de création, d’intimité, de plaisir et de désir. La peinture voudrait changer le regard et rendre à l’individu la simplicité que la société ne cesse de lui voler.

Actuellement, je me sers de mes photographies, comme modèle et je ne cesse de me battre contre et avec elles pour entrer dans la peinture. J’essaie de donner la sensation de fulgurance et de mouvement alors que tout n’est que repentir. Mes peintures oscillent entre le geste et l’image. Un paysage est une image de la nature, il demande un point de vue, il est déjà représentation par définition avant même d’être peint. Pour moi, la peinture est une métaphore de la vie. La vie serait comme une promenade, portée par le désir d’aller de l’avant, de marcher. Et pourtant, lorsque nous avançons nous sommes aveugles à ce qui nous entoure. Après quelques heures de marche, nous tombons en arrêt, émerveillés. Et là, nous voyons le paysage, nos yeux se sont enfin ouverts. Sans désir, rien ne peut nous arriver. Ces paysages sont peut-être une incarnation du désir d’avancer pour être paradoxalement arrêté.

L’avancée, c’est aussi, celle de l’œil en mouvement. Celui du peintre qui va de son modèle à la toile et celui du spectateur qui se promène à l’intérieur du tableau. Œil qui compose et décompose la peinture et oscille entre l’image et les touches de peinture.